Errance (2000) - Raymond Depardon





"L'errant en quête du lieu acceptable se situe dans un espace très particulier, l'espace intermédiaire. A l'espace intermédiaire correspond en fait un temps intermédiaire, une temporalité que l'on pourrait qualifier de flottante. Ce temps flottant est le temps du regard sur l'histoire, où l'errant s'interroge sur le passé en même temps qu'il réfléchit sur son futur proche."
(p.12)


C'est un peu ça l'idée de l'errance : qu'il n'y ait plus de moments privilégiés, d'instants décisifs, d'instants exceptionnels, mais plutôt une quotidienneté.
(p.26)


J'ai photographié des choses qui d'ordinaire ne sont pas à photographier, qui ne sont pas interdites mais qui, a priori, ne présentent pas d'intérêt. Des lieux où l'on peut imaginer qu'un jour on s'est trouvé à attendre un autobus, à attendre quelqu'un, parce qu'on était en panne, que l'on a marché et on s'est assis sur un banc, ou en roulant avec une voiture, cette espèce d'observation silencieuse.
(p.36)


Dans un voyage on évolue, on change, on se transforme. Et souvent, on rentre et tout est annulé par le retour. Il faut essayer de garder des traces. C'est pour cette raison peut-être que j'ai envie de parler sur ces photos. C'est peut-être justement pour que tout cela ne soit pas annulé par le retour et la fin de l'errance, que cela ne reparte pas dans le vent, pour recommencer la prochaine fois, recommencer toujours cette insatisfaction, cette quête.
(pp.40-42)


"Elles révèlent une esthétique de l'émergence, d'une épiphanie, d'être parmi les choses et saisir leur âme dans l'apparent désordre."
(p.60)


On le voit bien d'ailleurs dans les vieux films, on le voit très bien dans les vieilles photos qui nous intéressent, qui nous touchent. On voit bien que l'intrigue ne joue pas, que même le sujet ne joue pas, qu c'est le moment, c'est quelque chose d'autre qui a dominé. Je pense que le sujet est un obstacle à la création photographique, comme il l'est à la création cinématographique. C'est la forme, c'est l'esthétique, c'est la force du regard. C'est de ça qu'on se souvient. Tous les écrivains voyageurs, Chatwin, Bouvier, ont fait des livres sans intrigue. Leur intrigue, c'était celle de leur vie quotidienne.
(p.64)


Le réel est tellement éphémère, c'est quelque chose qui ne peut jamais nous rassurer. On se demande parfois à quoi correspondent ces bobines qu'on aligne sur sa table de chevet le soir dans une chambre d'hôtel. Ce sont quelques secondes de notre vie quotidienne.
(p.68)


Ce qui était extraordinaire au XIXe siècle, c'est que les photographes allaient dans des endroits insensés, sur des falaises,  ils participaient à des expéditions. Ils plaçaient souvent un personnage en haut des monuments par exemple, afin de donner l'échelle. Le personnage était accessoire, et à la fois il était très présent. [...]
Je me sens très proche du XIXe siècle. La simplicité des photographes du XIXe siècle, leur côté naïf, leur côté documentaire, leur côté "j'étais là" me plaisent. [...] C'est un constat très simple.
(p.162)


Le temps est donné dans les photos. Les gens souvent se trompent quand ils pensent que si je donne du temps dans mes films, c'est parce que je suis photographe. Ça n'a rien à voir. Dans mes photos, je donne du temps aussi. Le temps est quelque chose d'important pour moi.
(p.164)


"Quelle que soit notre destination, nous devons avoir partout la même nature et la même vertu qui nous est propre." Surtout ne pas fuir... C'est vrai que parfois, on fuit dans le travail, on fuit dans les voyages, on fuit quelque chose. Ça m'est arrivé, bien sûr. J'ai beaucoup travaillé, beaucoup voyagé; c'était une forme de fuite. Mais je crois que justement l'errance n'est pas la fuite.
(p.175)


Il y a beaucoup d'endroit où je voudrais retourner et confronter mon regard avec lui-même.
(p.179)

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