Chagrin d'école (2007) - Daniel Pennac

"Elles ignorent qu'elles s'adressent au plus jeune perceur de coffre de sa génération et que si leur représentation de l'avenir était fondée je ne serais pas au téléphone en train de les écouter mais en prison, à compter mes poux, conformément au film que dut projeter ma pauvre maman sur l'écran du futur quand elle apprit  que son fils de douze ans pillait les économies de la famille.
Alors, je tente une histoire drôle :
- Connaissez-vous le seul moyen de faire rire le bon Dieu ?
Hésitation au bout du fil.
- Racontez-lui vos projets."
(p.55)


"Or, c'est dans la conscience de son présent que l'individu se construit, pas en le fuyant."
(p. 88)


"C'est la pension qui m'a donné ce goût-là.  Il m'y fallait un monde à moi, ce fut celui des livres. Dans ma famille, j'avais surtout regardé les autres lire : mon père fumant sa pipe dans son fauteuil, sous le cône d'une lampe, passant distraitement son annulaire dans la raie impeccable de ses cheveux, un livre ouvert sur ses genoux croisés ; Bernard, dans notre chambre, allongé sur le côté, genoux repliés, sa main droite soutenant sa tête... Il y avait du bien-être dans ces attitudes. Au fond, c'est la physiologie du lecteur qui m'a poussé à lire. Peut-être n'ai-je lu, au début, que pour reproduire ces postures et en explorer d'autres. En lisant je me suis physiquement installé dans un bonheur qui dure toujours."
(pp. 99-100)


"Aucun doute, si le cancre que je fus était né il y a une quinzaine d'années et si sa mère n'avait pas cédé à ses moindres envies, il aurait pillé la caisse familiale, mais pour se faire des cadeaux à lui-même, cette fois ! Il se serait offert  un matériel d'évasion dernier cri, se serait laissé aspirer par son écran, s'y serait dilué pour surfer sur l'espace-temps, sans contrainte ni limite, sans horaire et sans horizon, il aurait chatté sans fin et sans propos avec d'autres lui-même. Il l'aurait adorée, cette époque qui, si elle ne garantit aucun avenir à ses mauvais élèves, est prodigue en machines qui leur permettent d'abolir le présent ! Il aurait été la proie idéale pour une société qui réussit cette prouesse : fabriquer des jeunes obèses en les désincarnant."
(p- 293)

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