Gestes et opinions du Dr Faustroll, 'pataphysicien (1911) - Alfred Jarry



La pataphysique, dont l'étymologie doit s'écrire 'epi (meta ta fusika) et l'orthographe réelle 'pataphysique, précédé d'une apostrophe, afin d'éviter un facile calembour, est la science de ce qui se surajoute à la métaphysique, soit en elle-même, soit hors d'elle-même, s'étendant aussi loin au delà de celle-ci que celle-ci au delà de la physique. Ex.: l'épiphénomène étant souvent l'accident, la pataphysique sera surtout la science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions, et expliquera l'univers supplémentaire à celui-ci; ou moins ambitieusement décrira un univers que l'on peut voir et que peut-être l'on doit voir à la place du traditionnel, les lois que l'on a cru découvrir de l'univers traditionnel étant des corrélations d'exceptions aussi, quoique plus fréquentes, en tous cas de faits accidentels qui, se réduisant à des exceptions peu exceptionnelles, n'ont même pas l'attrait de la singularité.
(p. 35)



Il pâtit de la gourme en son enfance, et sa nourrice, qui était vieille à ce point qu’on obtenait de ses conseils des selles anormales, lui prédit que c’était un signe comme quoi il ne pourrait dissimuler aux hommes
(p. 49)



La température de l'île est modérée selon la consultation de thermomètres appelés sirènes. Au solstice d’hiver, la sonorité atmosphérique tombe du jurement du chat au vrombissement de la guêpe, du bourdon et à la vibration d’aile de mouche. Au solstice d’été, toutes les plantes susnommées fleurissent, jusqu’à la chaleur suraiguë du vol des insectes au-dessus des herbes de notre terre. La nuit, Saturne y choque son sistre en son anneau. Le soleil et la lune y éclatent, à l’aube et au crépuscule, comme des cymbales divorcées.
(p. 79)



Maintenant, si vous êtes curieux de savoir pourquoi dans la rue, où la tête horrible se multiplie devant tous les véhicules, je suis rarement incité au meurtre, je répondrai qu’un signal, pour être entendu, veut être isolé, et qu’une multitude n’a pas qualité pour donner un ordre ; et de même que pour moi mille tambours ne font pas autant de bruit qu’un seul tambour, et que mille intelligences forment une cohue mue par l’instinct, un individu n’est pas pour moi un individu, qui se présente en même temps que plusieurs de ses pareils, et je soutiens qu’une tête n’est une tête que séparée de son corps.
(p. 98)



Le corps est un véhicule plus nécessaire parce qu'il soutient les vêtements, et, par les vêtements, des poches. J'avais oublié dans mes poches mon centimètre, copie authentique en laiton de l'étalon traditionnel, plus portative que la terre ou même le quadrant terrestre,  et qui permet aux âmes errantes et posthumes des savants interplanétaires de ne plus s'occuper de ce vieux globe ni même du C.G.S., en ce qui concerne leurs mesures d'étendue, grâce à MM. Méchain et Delambre.
(pp. 146-147)

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